Enseignant en fiscalité à l’Université Don Bosco de Lubumbashi, capitale provinciale du Haut-Katanga,
Monsieur Jerry Tshinanga a, à son actif, plus de 20 ans d’expérience dans le conseil juridique et fiscal, son domaine de formation. Dans un entretien accordé à notre confrère AfricaNews, cet expert en fiscalité s’est appesanti sur
la reforme de la facture normalisée en RD-Congo en évoquant deux changements majeurs. D’abord la digitalisation de la facturation, grâce aux dispositifs électroniques fiscaux (DEF) et systèmes de facturation d’entreprise (SFE). Puis, l’instauration de beaucoup plus de transparence, notant que chaque facture sera désormais connectée directement au serveur de la DGI. ” Cela permet d’avoir des données fiables, d’éviter les fraudes, et d’instaurer une concurrence plus équitable entre entreprises”, a-t-il soutenu. Selon lui, ” la réforme à une facture normalisée vise à corriger ces dysfonctionnements, en imposant l’utilisation des dispositifs électroniques fiscaux pour toutes les transactions”. Ci-dessous l’intégralité de son interview accordée a notre confrère AfricaNews.
Monsieur Jerry Tshinanga, pour commencer, pourriez-vous expliquer en termes simples le contexte qui a conduit à la réforme de la facture normalisée ?
Bien sûr. La TVA a été introduite en RDC en 2010, mais son rendement reste faible représentant moins de 30 % des recettes fiscales alors qu’elle devrait avoisiner 50 %, comme on le voit dans d’autres pays. Ce déficit est dû à des pratiques telles que la double facturation, la tenue de doubles comptabilités, et la prédominance des paiements en espèces. La réforme à une facture normalisée vise à corriger ces dysfonctionnements, en imposant l’utilisation des dispositifs électroniques fiscaux pour toutes les transactions.
Concrètement, qu’apporte cette réforme de nouveau pour les entreprises et l’administration fiscale?
Elle apporte deux grands changements. Le premier: la digitalisation de la facturation, grâce aux dispositifs électroniques fiscaux (DEF) et systèmes de facturation d’entreprise (SFE). Le deuxième changement est l’instauration de beaucoup plus de transparence, car chaque facture sera désormais connectée directement au serveur de la DGI. Cela permet d’avoir des données fiables, d’éviter les fraudes, et d’instaurer une concurrence plus équitable entre entreprises.
On entend souvent dire que cette réforme sera appliquée progressivement. Pouvez-vous nous expliquer les phases prévues?
La mise en œuvre de la réforme de la facture normalisée s’opère selon une démarche progressive structurée en trois phases distinctes. Il y a d’abord la phase expérimentale ou pilote: elle consiste en un déploiement initial ciblé, étendu de manière graduelle aux différentes provinces, permettant ainsi de tester les outils, évaluer les impacts opérationnels et ajuster les dispositifs en fonction des retours du terrain.
Il y a, ensuite, la phase de généralisation aux redevables de la TVA: à ce stade, l’obligation d’émission des factures à l’aide des dispositifs électroniques fiscaux (DEF) est étendue à l’ensemble des assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, conformément aux prescriptions de la loi fiscale.
Il y a, enfin, la phase d’élargissement intégral à toutes les entreprises. Cette dernière étape prévoit l’extension du dispositif à tous les opérateurs économiques, y compris les personnes morales et physiques non assujetties à la TVA, en vue de garantir une traçabilité généralisée des transactions commerciales.
Ce passage progressif vise à assurer une appropriation effective par les parties prenantes, à renforcer l’adhésion volontaire au dispositif et à réduire les résistances potentielles liées à la transition vers un système de facturation digitalisé et contrôlé en temps réel.
Quels seront les avantages directs pour les entreprises qui se conformeront à la réforme?
Elles auront accès à plusieurs avantages. La réforme offre aux opérateurs économiques un ensemble d’avantages stratégiques et opérationnels, parmi lesquels: Une mise en conformité rigoureuse avec les obligations fiscales légales et réglementaires, réduisant de manière significative les risques de sanctions administratives, pénales ou pécuniaires en cas de contrôle.
Une diminution notable des erreurs dans le calcul, la déclaration et la liquidation de la taxe sur la valeur ajoutée, grâce à l’automatisation des processus de facturation et de transmission des données fiscales.
L’optimisation de la gestion des opérations commerciales via la digitalisation du système de facturation, conduisant à une réduction des charges liées à l’utilisation de supports papier et à une accélération du traitement des transactions.
La disponibilité en temps réel de données commerciales fiables et structurées, facilitant l’analyse des performances commerciales, la prise de décision managériale et l’audit interne.
Ainsi que le renforcement de la transparence dans les relations avec l’administration fiscale ainsi qu’une meilleure équité en termes de concurrence.
Et pour l’État, quels bénéfices espère-t-on tirer de cette réforme?
Pour l’État aussi les avantages sont majeurs. Du point de vue de l’administration fiscale, la mise en œuvre de la facture normalisée génère des gains significatifs en matière de gouvernance et de mobilisation des ressources, notamment une amélioration substantielle du rendement fiscal, résultant de l’élargissement de l’assiette effective d’imposition et de la réduction de la fraude et de l’évasion fiscale, sans nécessité de créer de nouveaux prélèvements obligatoires.
Un renforcement des capacités de suivi, de contrôle et de recoupement automatisé des données déclaratives, permettant une gestion plus efficiente du fichier des contribuables et une meilleure orientation des actions de vérification.
L’opportunité de moderniser les services fiscaux à travers le développement d’outils numériques avancés, tels que les déclarations fiscales préremplies, l’autoliquidation automatisée de la TVA ou encore les systèmes d’alerte fiscale.
Et, enfin, l’émergence d’un écosystème numérique autour des Dispositifs Électroniques Fiscaux (DEF), des logiciels de facturation agréés et des services connexes (maintenance, intégration, formation), générant ainsi des externalités positives en matière d’innovation, d’investissement privé et de création d’emplois qualifiés.
Monsieur Jerry Tshinanga, certains craignent des difficultés techniques ou financières. Comment la DGI accompagne-t-elle les entreprises dans cette transition?
Afin d’assurer une mise en œuvre efficace, inclusive et progressive de la réforme de la facture normalisée, la Direction Générale des Impôts (DGI) a adopté une stratégie d’accompagnement articulée autour de trois axes principaux. Le premier est le volet informationnel qui passe par l’organisation d’une campagne nationale de communication et de sensibilisation à destination des opérateurs économiques, des partenaires techniques, des organisations professionnelles et du grand public, visant à vulgariser les objectifs, les modalités d’application et les obligations découlant de la réforme.
Le deuxième volet capacitaire. Il se caractérise par la mise en place de sessions de formation sectorielles et ciblées, adaptées aux spécificités des différents segments de contribuables (grandes entreprises, PME, commerçants, professions libérales), en vue de faciliter l’appropriation des nouveaux outils de facturation et des procédures fiscales y afférentes.
Le troisième et dernier volet est logistique et financier. Il consiste au déploiement d’un mécanisme d’assistance technique et de soutien financier aux contribuables, incluant notamment la mise à disposition gratuite des dispositifs électroniques fiscaux dématérialisés (E-DEF) accessibles en ligne via des plateformes agréées ainsi qu’un système de subvention partielle couvrant jusqu’à 50 % des coûts d’acquisition des DEF physiques agréés, afin d’atténuer l’impact financier de la transition pour les entreprises.
Avez-vous un message particulier à l’endroit des contribuables qui hésitent encore à adopter la facture normalisée?
Je leur dis que l’adoption de la facture normalisée ne constitue pas uniquement une exigence réglementaire imposée par le législateur fiscal, mais s’inscrit également comme une opportunité stratégique pour les opérateurs économiques. Elle représente un levier essentiel de modernisation de la gestion comptable et fiscale, en favorisant l’intégration progressive dans un environnement numérique sécurisé de traitement des transactions; la consolidation de la traçabilité et de la fiabilité des opérations commerciales; le renforcement de la transparence dans les relations entre les contribuables et l’administration fiscale; et la participation active à l’instauration d’un système fiscal plus équitable et efficient.
En somme, cette réforme s’inscrit dans une dynamique structurelle de transformation digitale et de bonne gouvernance fiscale, positionnant la République Démocratique du Congo sur la voie d’une fiscalité moderne, performante et conforme aux standards internationaux. Ils ont donc intérêt à adopter la facture normalisée.